Un tiers financeur est généralement défini comme une entité non-partie au litige (souvent des sociétés spécialisées dans le financement des litiges et arbitrages, fonds d’investissement, etc.) qui fournit des fonds pour financer les frais de procédure, en échange d’une rémunération dépendante de l’issue du litige.
Bien que les tiers financeurs aient provoqué de vives réactions lors de leur apparition, ils sont aujourd’hui largement acceptés dans la pratique de l’arbitrage international. En effet, le financement par des tiers joue un rôle majeur dans l’arbitrage entre investisseurs et États en raison des montants très élevés qui sont nécessaires pour mener une telle procédure à son terme.
Toutefois, étant donné le grand nombre d’accords de financement différents tels que, les contrats d’assurance, les accords d’honoraires conditionnels et les prêts accordés par les institutions financières, il n’y a pas de réel consensus sur la définition du concept dans la littérature ou la pratique.[1]
Le groupe de travail composé du International Council for Commercial Arbitration (ICCA) et de l’Université Queen Mary de Londres a néanmoins tenté de fournir une telle définition, tout en veillant à ce qu’elle soit suffisamment large afin d’englober tous types d’accords possibles :
Le terme « financement par des tiers » désigne un accord conclu par une entité qui n’est pas partie au litige pour fournir à une partie, à une société affiliée à cette partie ou à un cabinet d’avocats représentant cette partie,
(a) des fonds ou d’autres aides matérielles afin de financer une partie ou la totalité du coût de la procédure, soit individuellement, soit dans le cadre d’une série spécifique d’affaires, et
(b) ce soutien ou ce financement est soit fourni en échange d’une rémunération ou d’un remboursement dépendant en tout ou en partie de l’issue du litige, soit fourni sous la forme d’une subvention ou en échange du paiement d’une prime.[2]
En tout état de cause, il est permis de penser qu’environ 1 dossier sur 30 est financé par un tiers financeur, ce qui représente un taux de réussite de seulement 3 % en raison des critères de sélection très stricts des tiers financeurs.
Coût moyen d’un arbitrage CIRDI et chances de financement par un tiers
Le coût administratif moyen facturé par le CIRDI pour gérer un arbitrage se situe généralement autour de 400.000 à 500.000 USD. Le droit pour le dépôt de la demande à régler par le demandeur est de 25.000 USD.[3] A cela, il faut ajouter le montant de l’avance initiale demandé par le CIRDI pour démarrer la procédure qui généralement s’élève à la somme de 150.000 USD (article 15(1)(a) du Règlement administratif et financier du CIRDI).[4]
Aux frais du CIRDI, il convient d’ajouter les honoraires d’avocats et des experts. Certaines études ont montré que le coût moyen, pour les deux parties, tend à se situer autour de 8 millions de dollars américains pour les arbitrages entre investisseurs et États, bien qu’il y ait des variations significatives.
Une règle généralement appliquée par les tiers financeurs est que le montant de la compensation attendue doit être dix fois supérieur au montant total de l’investissement. Ceci s’explique par le rendement attendu sur investissement. Les tiers financeurs opèrent comme des investisseurs et recherchent des rendements compétitifs. Étant donné que leur capital est immobilisé pour une période prolongée (parfois plusieurs années), ils s’attendent à un rendement important afin de compenser ce facteur.
Ainsi, pour un coût total moyen de 4 millions de dollars par partie pour un arbitrage CIRDI, si le demandeur ne peut pas du tout contribuer aux frais de la procédure, les dommages et intérêts doivent être d’au moins 40 millions de dollars pour intéresser un tiers financeur.
Enfin, les tiers financeurs refusent également souvent de prendre en compte le manque à gagner, se concentrant sur les montants réellement investis (qu’ils considèrent comme le recouvrement minimum réaliste).
Processus de financement
Avant de solliciter un tiers financeur, la partie demanderesse doit (i) évaluer ses besoins financiers : i.e., déterminer les coûts prévus de l’arbitrage ; (ii) analyser le dossier : i.e., les chances de succès de l’affaire ; (iii) préparer des documents clés : cela inclut généralement des résumés du différend, des preuves, et une estimation des coûts et des gains potentiels. En pratique, les tiers financeurs demandent souvent au moins un rapport d’expertise préliminaire sur les dommages et intérêts ainsi qu’un mémorandum juridique analysant le bien-fondé de l’affaire.
Le tiers financeur procèdera ainsi de son côté à une « due diligence » approfondie pour évaluer le potentiel de la demande en procédant à un examen juridique et financier, en évaluant les actifs du défendeur (vérification qu’il existe des actifs exécutables pour recouvrer une éventuelle sentence) et en procédant à un rapport coût-bénéfice (analyse du coût de l’investissement par rapport au potentiel gain).
Enfin auront lieu la négociation et la conclusion d’un accord de financement, qui incluent en principe le montant à financer et la part des gains que le financeur recevra en cas de succès (i.e., le pourcentage des sommes recouvrées ou un multiple des montants investis).
Toutefois, outre les difficultés liées à l’obtention d’un financement, celui-ci soulève aussi des questions d’ordre juridique.
Problématiques liées au financement par des tiers et réformes en matière d’arbitrage international
L’apparition de ces nouveaux acteurs dans les procédures d’arbitrage a suscité diverses inquiétudes, principalement liées aux éventuels conflits d’intérêts pouvant résulter des relations entre les tiers financeurs, les arbitres, les conseils et les parties.
Cela a poussé à l’imposition aux parties d’une obligation générale de divulgation des détails de l’existence et de la nature de leurs accords de financement (les toutes premières règles institutionnelles traitant du financement par des tiers ont été les règles d’arbitrage d’investissement de la SIAC et de la CIETAC en 2017).[5]
Dans ce contexte de transparence et de lutte contre les conflits d’intérêts, le nouveau règlement du CIRDI a également été approuvé le 21 mars 2022. Il est entré en vigueur le 1er juillet 2022.
Les conflits d’intérêts
Les conflits d’intérêts peuvent en effet survenir si le tiers financeur finance d’autres procédures dans lesquelles l’arbitre a un intérêt en raison du cabinet d’avocats dans lequel il travaille, ce qui est susceptible de se produire, car le nombre de tiers financeurs est limité. Le constat est, en effet, que la plupart des arbitres sont également des avocats. Le risque dans ces situations est qu’un arbitre pourrait ne pas souhaiter condamner une partie financée par le même tiers financeur que celui qui soutient les demandes déposées par les clients du cabinet d’avocats auquel il appartient, car cela pourrait compromettre financièrement le tiers financeur et sa capacité à financer d’autres demandes. D’où l’urgence pressentie de l’obligation de divulgation de ces accords.[6]
L’Association Internationale du Barreau (IBA) a été la première institution à aborder la question du financement par des tiers, dans la version 2014 de ses Lignes Directrices de l’IBA sur les Conflits d’Intérêts dans l’Arbitrage International (les « Lignes Directrices de 2014 »),[7] qui s’appliquent à la fois à l’arbitrage commercial et à l’arbitrage d’investissement.[8]
Les Lignes Directrices de 2014 réglementent l’obligation d’informer dans la Règle Générale 7(a). Cette disposition prévoit qu’une partie doit informer un arbitre, le tribunal arbitral, les autres parties et l’institution d’arbitrage de toute relation, directe ou indirecte, entre l’arbitre et la partie (ou une autre société du même groupe de sociétés, ou une personne ayant une influence déterminante sur la partie dans l’arbitrage), « ou entre l’arbitre et toute personne ou entité ayant un intérêt économique direct dans la sentence arbitrale qui sera rendue dans le cadre de l’arbitrage, ou ayant une obligation d’indemniser une des parties à l’arbitrage. La partie doit communiquer ces informations de sa propre initiative dans les plus brefs délais. »
L’obligation d’information imposée aux parties par cette Règle Générale signifie littéralement que la partie financée a l’obligation d’informer l’arbitre et les autres parties de toute relation entre l’arbitre et le tiers financeur ![9] En pratique, toutefois, les informations requises à la partie financée ne peuvent porter que sur la relation entre la partie et le tiers financeur :
- Il est impossible de connaître tous les contacts ou relations pertinents entre un arbitre et un tiers financeur ;
- C’est aussi au tiers financeur d’informer la partie financée de tout lien avec un arbitre susceptible de donner lieu à des conflits d’intérêts, afin d’éviter toute contestation (toutefois, celui-ci n’est pas partie à la convention d’arbitrage et n’a dès lors pas les mêmes obligations qu’une partie) ;
- Les arbitres eux-mêmes ont également le devoir de divulguer les faits et circonstances pertinents susceptibles de susciter des doutes légitimes quant à leur indépendance et leur impartialité (Règle Générale 7(d)). Ainsi, la relation entre le tiers financeur et l’arbitre devra être révélée par les arbitres après avoir eu connaissance du financement grâce aux informations fournies par la partie financée.[10]
Par ailleurs, la Règle Générale 6(b) prévoit que « [s]i l’une des parties est une personne morale, toute personne physique ou morale ayant un pouvoir de contrôle sur la personne morale ayant un intérêt économique direct dans la sentence qui sera rendue dans l’arbitrage ou un devoir d’indemniser une partie à l’arbitrage, pourra être assimilée à cette partie ».
La Note Explicative sur cette disposition précise que les tiers financeurs et les assureurs peuvent avoir un intérêt économique direct dans la sentence arbitrale qui sera rendue et, en tant que tels, être assimilés à une partie.
Les Lignes Directrices de l’IBA sur les conflits d’intérêts ont été mises à jour en 2024 (les « Lignes Directrices de 2024 »).
La Règle Générale 7(a) a été élargie. A la place de l’ancienne disposition, la Règle Générale 7(a) prévoit désormais une liste plus exhaustive de situations imposant un devoir d’information de la part d’une partie au litige.[11] Les autres alinéas de cette Règle Générale ont été réorganisés, mais leur contenu n’a pas été fondamentalement modifié.
La Règle Générale 6(b) des Lignes Directrices de 2014 a également été élargie et un nouvel alinéa (c) y a été ajouté. Désormais, la Règle Générale 6(b) est applicable à une partie à l’arbitrage, quelle que soit la qualité de cette personne alors que précédemment, elle ne s’appliquait qu’à une partie au litige uniquement si celle-ci était une personne morale qui était contrôlée par une personne physique ou morale (ayant un intérêt économique direct dans la sentence ou un devoir d’indemniser une partie à l’arbitrage).
L’alinéa (b) de la Note Explicative des Lignes Directrices de 2024 sur la Règle Générale 6 précise également que les tiers financeurs peuvent entrer dans les dispositions de la Règle Générale 6(b) s’ils « ont un intérêt économique direct » dans l’affaire, « une influence déterminante sur une partie à l’arbitrage ou une influence sur la conduite de la procédure, y compris sur la sélection des arbitres ».
En effet, il est en pratique possible qu’un tiers financeur soit très impliqué dans l’affaire exigeant par exemple une formation des témoins dispensée par un organisme spécialisé dans ce domaine ou intervenant activement dans le choix de l’arbitre.
Les lignes directrices ont ainsi adopté une obligation d’information et un concept du tiers financeur plus larges pour tenir compte de la nature évolutive du domaine.
Il convient, cependant, de noter que les conflits d’intérêts réels sont rares.
La nouvelle règle 14 du règlement d’arbitrage CIRDI en détails : que faut-il divulguer et quand ?
La nouvelle règle 14(1) du règlement d’arbitrage du CIRDI amendé prévoit qu’une partie doit déposer une notification écrite indiquant le nom et l’adresse de tout tiers dont elle a reçu, directement ou indirectement, des fonds pour la poursuite ou la défense de l’instance par le biais d’un don ou d’une subvention, ou en échange d’une rémunération dépendant de l’issue de l’instance. Si le tiers qui fournit le financement est une personne morale, la notification doit inclure les noms des personnes et des entités qui possèdent et contrôlent cette personne morale. Au début de l’arbitrage ou « immédiatement » après la conclusion de l’accord de financement, la partie doit déposer cette notification (et toute mise à jour) auprès du Secrétaire général, qui la transmet aux parties et à tout arbitre proposé pour nomination ou nommé dans la procédure (règles 14(2)-(3)).
Les points essentiels de cette nouvelle disposition sont donc les suivants :
- L’article 14(1) énonce une définition large du financement par des tiers (variété d’accords) ;
- Il précise qu’il faut à la fois notifier le nom et l’adresse du tiers financeur ;
- Il inclut dans la définition des accords ceux conclus avec les représentants des parties, tels que les accords d’honoraires conditionnels ;
- Il exige qu’une partie révèle les noms de l’entité ou des personnes qui contrôlent en dernier ressort le tiers financeur (s’il s’agit d’une personne morale). Cette disposition a été ajoutée pour davantage de transparence, afin d’identifier tout conflit d’intérêt impliquant le « bénéficiaire effectif final» selon le Sixième Document de Travail du CIRDI. Cette disposition a notamment été critiquée, car elle exige la divulgation de plus d’informations de la part du tiers financeur que de la part de la partie elle-même financée, qui n’est pas tenue de révéler le(s) nom(s) de ses actionnaires.[12]
L’article 14(4) prévoit ensuite que « [l]e Tribunal peut ordonner la divulgation d’informations supplémentaires concernant l’accord de financement et la tierce-partie fournissant un financement […] ».
- Une des raisons de cette obligation de divulgation de l’accord de financement est l’hypothèse qu’une partie financée est susceptible d’être en difficulté financière et pourrait ne pas être en mesure de se conformer à une condamnation aux dépens en cas d’issue défavorable de l’arbitrage. Le tiers financeur pourrait ne pas avoir d’obligation contractuelle de couvrir les coûts défavorables et même avoir prévu des clauses de résiliation pour échapper à la responsabilité en cas d’une telle sentence (appelé « the arbitral hit and run») ;
- La divulgation de l’accord de financement pourrait permettre l’évaluation de l’étendue des droits et obligations du tiers financeur et donc être judicieuse pour protéger la partie adverse, en particulier lorsqu’il s’agit de statuer sur une demande de garantie du paiement des frais de l’arbitrage) ;
- À noter que les propositions de la CNUDCI de 2021 concernant les dispositions relatives à la facilité de paiement dans le cadre de l’arbitrage d’investissement suggèrent la divulgation systématique de l’accord de financement et de ses conditions ce qui n’est pas le cas des institutions arbitrales jusqu’à présent, qui ont adopté des approches moins contraignantes.[13]
Dans l’affaire Muhammet Çap & Sehil Insaat Endustri ve Ticaret Ltd. Sti. c. Turkménistan (toutefois antérieure à la réforme du règlement d’arbitrage CIRDI de 2022), le tribunal a par exemple lui-même ordonné la divulgation de l’identité du tiers financeur ainsi que les termes de l’accord avec la partie financée.[14] Ceci était motivé par : (i) l’importance d’assurer l’intégrité de la procédure et de déterminer si l’un des arbitres était affecté par l’existence d’un tiers financeur, (ii) le défendeur ayant indiqué qu’il présenterait une demande de garantie pour les frais, (iii) le fait que les demandeurs n’ont pas nié l’existence d’un tiers financeur et que le défendeur avait allégué que la condamnation aux dépens en faveur du défendeur prononcée par un autre tribunal n’avait pas été payée. Le tribunal a considéré que les préoccupations du défendeur – à savoir qu’en cas de condamnation aux dépens des demandeurs, ceux-ci seraient incapables de faire face à ces coûts tandis que le tiers financeur aurait disparu puisqu’il n’était pas partie à cet arbitrage – étaient fondées.[15]
Demande de garantie du paiement des frais de l’arbitrage (“security for costs applications”)
Si les demandes de garantie du paiement des frais de l’arbitrage peuvent parfois être utilisées de manière abusive par les États, ces derniers sont néanmoins amenés à engager des millions de dollars de frais pour chaque arbitrage.
Dès lors, si l’existence d’un tiers financeur est révélée à l’autre partie, celle-ci peut être amenée à déposer une demande de garantie pour les frais du litige au motif que la solvabilité du demandeur est mise en cause s’il a eu recours à un tiers financeur (un tel financement pourrait être perçu comme une indication que le demandeur ne sera pas forcément en mesure de payer les dépens du défendeur en cas d’issue défavorable du litige pour ce dernier).
Ces demandes de garantie sont, toutefois, la plupart du temps rejetées par les tribunaux, car ces derniers imposent des critères stricts pour leur octroi.
Dans l’affaire Bay View Group LLC et Spalena Company LLC c. République du Rwanda, la demande de garantie pour les frais a été rejetée (il s’agit également d’une décision rendue avant la réforme du règlement du CIRDI en 2022 toutefois).[16] Se référant à Herzig c. Turkménistan[17] et RSM c. Sainte-Lucie,[18] (deux affaires dans lesquelles une garantie du paiement des frais a été accordée), le tribunal a approuvé ces décisions ayant estimé qu’un requérant doit démontrer des « circonstances exceptionnelles » pour qu’une ordonnance de garantie pour les frais soit justifiée. Le tribunal a rappelé que dans l’affaire Herzig :
- Le premier facteur jugé pertinent était l’insolvabilité du demandeur. Le demandeur nominal était l’administrateur de l’insolvabilité d’une société en faillite ;
- Le deuxième facteur pertinent était que la créance était financée par un tiers financeur professionnel et ;
- Le troisième facteur pertinent était que le tiers financeur fournissait ses services à la condition expresse qu’il ne serait pas tenu responsable de toute condamnation aux dépens prononcée à l’encontre de la partie financée.[19]
Le tribunal a également rappelé que, selon la décision Herzig, le financement par un tiers n’était pas, en soi, suffisant pour satisfaire à l’exigence de circonstances exceptionnelles.[20] De même, le fait que le demandeur soit insolvable ne l’était pas non plus en soi.[21] Dans l’affaire Herzig, le tribunal a ainsi estimé qu’il n’était pas nécessaire de décider si la combinaison des deux facteurs était suffisante pour constituer des circonstances exceptionnelles. Le facteur qui était, cumulativement, déterminant était l’accord exprès selon lequel le tiers financeur ne serait pas responsable d’une condamnation aux dépens à l’encontre du demandeur.[22]
Dans une autre affaire plus récente, Abdallah Andraous c. les Pays-Bas, un tribunal CNUDCI a estimé qu’une ordonnance de garantie de paiement des frais de l’arbitrage exigeait du requérant qu’il démontre un risque important que l’adversaire ne puisse ou ne veuille pas satisfaire à une éventuelle condamnation aux dépens.[23] Dans cette affaire, cependant, le demandeur n’était pas financé par un tiers. Citant des décisions antérieures (telles que Eurogas c. République slovaque, Hope Services c. Cameroun, RSM c. Sainte-Lucie, Ipek c. Turquie, Herzig c. Turkménistan et Armas c. Venezuela), le tribunal a souligné que des « circonstances exceptionnelles » étaient nécessaires pour justifier une ordonnance de garantie des frais de l’arbitrage telles que :[24]
- Une « impécuniosité avérée » de la partie à l’encontre de laquelle la demande de garantie est dirigée ;
- La présence d’un tiers financeur n’ayant aucune obligation de couvrir les coûts adverses;
- Le conseil de la partie à l’encontre de laquelle l’ordonnance est demandée travaille sur une base contingente et finance l’arbitrage ;
- Un historique de non-respect des ordonnances relatives aux frais ;
- Un défaut de paiement des anciens avocats, et/ou ;
- Un historique de « comportement ou de pratiques commerciales inappropriés » tels que « le déplacement ou la dissimulation d’actifs » afin de « limiter leur exposition aux créanciers».
Le tribunal a également souligné que la pertinence de ces considérations était très spécifique à chaque cas.[25] En outre, en l’absence de « preuves convaincantes » de la nécessité d’une ordonnance de garantie pour les frais, les arbitres ont estimé que les tribunaux devraient être réticents à accorder une telle mesure, de peur de rendre la protection du traité d’investissement « inefficace » en refusant l’accès à la justice.[26]
À l’inverse de ces deux décisions, le tribunal dans l’affaire Hope Services LLC c. Cameroun a considéré que l’exclusion de la prise en charge des frais de la partie adverse dans le contrat de financement conclu entre la demanderesse et le tiers financeur est une pratique courante qui ne peut justifier l’octroi d’une mesure de garantie pour les frais de l’arbitrage, car « [s]i tel était le cas, chaque contrat de financement contenant une telle clause aboutirait à l’octroi d’une telle mesure ».[27]
Il est, en effet, assez rare en pratique qu’un tiers financeur soit prêt à prendre en charge une décision défavorable sur les coûts de l’arbitrage. Il pourrait éventuellement être disposé à financer une « assurance post-sinistre » (“after the event insurance”) qui couvre ce risque, bien que cela soit assez coûteux.
Par ailleurs, dans l’affaire Eco Oro c. Colombie,[28] un des co-arbitres, le Professeur Philippe Sands, a rédigé une Déclaration sur les dépens dans laquelle il a critiqué le système du financement par des tiers de l’arbitrage entre investisseurs et États.[29]
La sentence date du 4 avril 2024. Dans cette affaire, le financement par des tiers comprenait un soutien financier sous la forme d’un investissement dans le demandeur de 14 millions USD. Cet investissement a permis à l’investisseur d’obtenir jusqu’à « 51% du produit brut de l’arbitrage ».[30] Le demandeur a engagé des frais totaux d’un peu moins de 33,3 millions USD.[31]
Philippe Sands a expliqué que l’objectif de ces arbitrages risquait d’être détourné lorsque les demandes sont contrôlées ou dirigées par un tiers financeur qui n’a aucune relation préalable avec l’État d’accueil.
Il a ajouté que le risque est encore plus grand lorsque le tiers financeur a le droit de récupérer une part importante des dommages-intérêts accordés par un tribunal et qu’il n’est pas tenu de contribuer aux frais de la partie adverse en cas de rejet de la demande. Il a même évoqué un « Nirvana du joueur : face je gagne, et pile je ne perds pas » (“gambler’s Nirvana : Heads I win, and Tails I do not lose.” dans la version originale).[32] Il a notamment affirmé : « [j]e crains qu’une affaire comme celle-ci, qui a entraîné des coûts financiers et humains considérables et qui n’aurait pu être introduite sans le soutien d’un tiers financeur, ne contribue à saper la confiance dans un système important et ne donne l’impression qu’il n’a pas la légitimité nécessaire […] ».[33]
Cette déclaration a d’ailleurs valu à Philippe Sands une demande de récusation dans l’affaire Silver Bull Resources c. l’État mexicain qui a toutefois été rejetée.[34]
Enfin, le règlement d’arbitrage CIRDI de 2022 prévoit désormais des règles explicites concernant la garantie du paiement des frais de l’arbitrage en son article 53. L’un des critères est l’existence d’un financement par des tiers. Cela ne fera qu’accroître les demandes de garantie du paiement des frais.
Conclusion
Révéler l’existence d’un tiers financeur peut avoir des implications positives pour le demandeur, car cela pourrait influencer le tribunal à croire que le demandeur a un dossier solide, étant donné qu’il est peu probable qu’un tiers financeur finance une demande s’il n’est pas convaincu de son bien-fondé. Révéler l’existence d’un financement par un tiers peut parfois également rendre plus probable un règlement à l’amiable.
En tout état de cause, il s’agit d’un domaine en pleine évolution et ces questions seront plus faciles à aborder à mesure que les tribunaux, les parties et les tiers financeurs se familiariseront avec elles.
Il est permis de penser que si un demandeur peut éviter le financement par des tiers (bien que ce ne soit pas toujours possible), il devrait le faire, car le financement crée de nombreux obstacles procéduraux auxquels il faut faire face dans le cadre de l’instance arbitrale.
[1] D. Kayali, Third-Party Funding in Investment Arbitration: How to Define and Disclose It, ICSID Review – Foreign Investment Law Journal, 2023, p. 1.
[2] ICCA and QMUL, Report of the ICCA-Queen Mary Task Force on Third-Party Funding in International Arbitration, International Council for Commercial Arbitration, April 2018 (« Rapport du groupe de travail ICCA-Queen Mary sur le financement par des tiers dans l’arbitrage international »), https://cdn.arbitration-icca.org/s3fs-public/document/media_document/Third-Party-Funding-Report%20.pdf (dernière consultation le 23 janvier 2025), p. 50.
[3] Site internet du CIRDI, Frais de procédure, https://icsid.worldbank.org/fr/services/contenu/frais-procedure (dernière consultation le 23 janvier 2025).
[4] Site internet du CIRDI, Frais de procédure, https://icsid.worldbank.org/fr/services/contenu/frais-procedure (dernière consultation le 23 janvier 2025).
[5] A. Favro, New ICSID Arbitration Rules: A Further Step in The Regulation of Third-Party Funding, 3 June 2022, https://arbitrationblog.kluwerarbitration.com/2022/06/03/new-icsid-arbitration-rules-a-further-step-in-the-regulation-of-third-party-funding/ (dernière consultation le 23 janvier 2025).
[6] D. Alhouti, Disclosing Third-Party Funding in International Arbitration: Where Are We Now?, https://www.charlesrussellspeechlys.com/en/insights/expert-insights/litigation–dispute-resolution/2022/disclosure-obligations-and-third-party-funding/ (dernière consultation le 23 janvier 2025).
[7] A. Okubote, Transparency and Third-Party Funding, https://www.ibanet.org/article/BBC1C665-EE2E-409D-897D-BB31AF3A6938 (dernière consultation le 23 janvier 2025).
[8] Lignes Directrices de l’IBA sur les Conflits d’Intérêts dans l’Arbitrage International, 23 octobre 2014, Préface ; D. Kayali, Third-Party Funding in Investment Arbitration: How to Define and Disclose It, ICSID Review – Foreign Investment Law Journal, 2023, p. 9.
[9] D. Kayali, Third-Party Funding in Investment Arbitration: How to Define and Disclose It, ICSID Review – Foreign Investment Law Journal, 2023, p. 9.
[10] D. Kayali, Third-Party Funding in Investment Arbitration: How to Define and Disclose It, ICSID Review – Foreign Investment Law Journal, 2023, p. 9.
[11] « (7) Devoir des Parties et de l’Arbitre :
(a) Une partie informe un arbitre, le tribunal arbitral, les autres parties et l’institution d’arbitrage ou toute autre autorité de nomination (le cas échéant) de
(i) de toute relation, directe ou indirecte, entre l’arbitre et
– la partie ;
– une autre société du même groupe de sociétés ;
– une personne ou une entité exerçant une influence déterminante sur la partie à l’arbitrage ;
– une personne ou une entité sur laquelle une partie exerce une influence déterminante ; ou
– toute personne ou entité ayant un intérêt économique direct dans la sentence à rendre dans le cadre de l’arbitrage ou ayant l’obligation d’indemniser une partie pour cette sentence ; et
(ii) toute autre personne ou entité qu’elle estime devoir être prise en considération par l’arbitre lors de la communication d’informations conformément à la Règle Générale 3. » (traduction non-officielle).
[12] A. Favro, New ICSID Arbitration Rules: A Further Step in The Regulation of Third-Party Funding, 3 June 2022, https://arbitrationblog.kluwerarbitration.com/2022/06/03/new-icsid-arbitration-rules-a-further-step-in-the-regulation-of-third-party-funding/ (dernière consultation le 23 janvier 2025).
[13] A. Favro, New ICSID Arbitration Rules: A Further Step in The Regulation of Third-Party Funding, 3 June 2022, https://arbitrationblog.kluwerarbitration.com/2022/06/03/new-icsid-arbitration-rules-a-further-step-in-the-regulation-of-third-party-funding/ (dernière consultation le 23 janvier 2025).
[14] Muhammet Çap & Sehil Insaat Endustri ve Ticaret Ltd. Sti. c. Turkménistan, Affaire CIRDI No. ARB/12/6, Ordonnance de procédure No. 3, 12 juin 2015, para. 13.
[15] Muhammet Çap & Sehil Insaat Endustri ve Ticaret Ltd. Sti. c. Turkménistan, Affaire CIRDI No. ARB/12/6, Ordonnance de procédure No. 3, 12 juin 2015, paras. 7-12.
[16] Bay View Group LLC and Another c. République du Rwanda, Affaire CIRDI No. ARB/18/21, Ordonnance de procédure No. 6, 28 septembre 2020, para. 64.
[17] Dirk Herzig, en qualité d’administrateur judiciaire des actifs de Unionmatex Industrieanlagen GmbH c. Turkménistan, Affaire CIRDI No. ARB/18/35, Décision sur la demande du défendeur de garantie pour les frais de procédure et sur la demande du demandeur de garantie pour la créance, 27 janvier 2020.
[18] RSM Production Corporation c. Sainte-Lucie, Affaire CIRDI No. ARB/12/10, Décision sur la demande du défendeur de garantie pour les frais de procédure, 13 août 2014.
[19] Bay View Group LLC and Another c. République du Rwanda, Affaire CIRDI No. ARB/18/21, Ordonnance de procédure No. 6, 28 septembre 2020, para. 57.
[20] Dirk Herzig, en qualité d’administrateur judiciaire des actifs de Unionmatex Industrieanlagen GmbH c. Turkménistan, Affaire CIRDI No. ARB/18/35, Décision sur la demande du défendeur de garantie pour les frais de procédure et sur la demande du demandeur de garantie pour la créance, 27 janvier 2020, para. 54.
[21] Dirk Herzig, en qualité d’administrateur judiciaire des actifs de Unionmatex Industrieanlagen GmbH c. Turkménistan, Affaire CIRDI No. ARB/18/35, Décision sur la demande du défendeur de garantie pour les frais de procédure et sur la demande du demandeur de garantie pour la créance, 27 janvier 2020, para. 55.
[22] Bay View Group LLC and Another c. République du Rwanda, Affaire CIRDI No. ARB/18/21, Ordonnance de procédure No. 6, 28 septembre 2020, para. 58 ; Dirk Herzig, en qualité d’administrateur judiciaire des actifs de Unionmatex Industrieanlagen GmbH c. Turkménistan, Affaire CIRDI No. ARB/18/35, Décision sur la demande du défendeur de garantie pour les frais de procédure et sur la demande du demandeur de garantie pour la créance, 27 janvier 2020, para. 57-60.
[23] Abdallah Andraous c. Royaume des Pays-Bas, Affaire CIRDI No. UNCT/23/3, Ordonnance de procédure No. 3, 28 novembre 2024, para. 122.
[24] Abdallah Andraous c. Royaume des Pays-Bas, Affaire CIRDI No. UNCT/23/3, Ordonnance de procédure No. 3, 28 novembre 2024, para. 123.
[25] Abdallah Andraous c. Royaume des Pays-Bas, Affaire CIRDI No. UNCT/23/3, Ordonnance de procédure No. 3, 28 novembre 2024, para. 124.
[26] Abdallah Andraous c. Royaume des Pays-Bas, Affaire CIRDI No. UNCT/23/3, Ordonnance de procédure No. 3, 28 novembre 2024, para. 125.
[27] Hope Services LLC c. République du Cameroun, Affaire CIRDI ARB/20/2, Ordonnance de procédure No. 4., 12 mai 2021, para. 69.
[28] Eco Oro Minerals Corp. c. République de Colombie, Affaire CIRDI No. ARB/16/41, Sentence sur le quantum, 15 juillet 2024.
[29] Déclaration sur les dépens de Philippe Sands, 4 avril 2024.
[30] Déclaration sur les dépens de Philippe Sands, 4 avril 2024, para. 10.
[31] Déclaration sur les dépens de Philippe Sands, 4 avril 2024, para. 5.
[32] Déclaration sur les dépens de Philippe Sands, 4 avril 2024, para. 12 ; expression reprise dans Assenting Reasons of Gavan Griffith in RSM v. Saint Lucia (Motifs d’approbation de Gavan Griffith dans RSM c. Sainte-Lucie), para. 13.
[33] Déclaration sur les dépens de Philippe Sands, 4 avril 2024, para. 13.
[34] T. Fisher, Sands survives challenge over alleged bias against third-party funding, 7 November 2024, https://globalarbitrationreview.com/article/sands-survives-challenge-over-alleged-bias-against-third-party-funding (dernière consultation le 23 janvier 2025).