La clause de libre transfert figure généralement parmi les clauses protectrices des investissements des investisseurs étrangers prévues par les traités bilatéraux d’investissement (ci-après les « TBI »). Ce blog se focalisera tant sur le contenu de ce principe de protection que sur les restrictions légitimes pouvant y être apportées.
Le contenu du principe de libre transfert
Par principe, la clause relative au libre transfert impose à l’Etat d’accueil de l’investissement l’obligation de ne pas adopter des restrictions quantitatives ou temporelles au rapatriement (réexportation) du capital initial investi par l’investisseur étranger, à ses rendements (dividendes, bénéfices) et aux produits de la liquidation ou du désinvestissement.[1]
Cet objectif a été mis en avant par les tribunaux arbitraux. A titre d’exemple, l’on peut citer la conclusion dans l’affaire Continental Casuality c. Argentine où le tribunal arbitral a constaté que :
« [T]his type of provision is a standard feature of BITs: the guarantee that a foreign investor shall be able to remit from the investment country the income produced, the reimbursement of any financing received or royalty payment due, and the value of the investment made, plus any accrued capital gain, in case of sale or liquidation, is fundamental to the freedom to make a foreign investment and an essential element of the promotional role of BITs ».[2]
En négociant ce type de clause, les Etats parties à un TBI doivent concilier deux intérêts majeurs : d’une part, celui de l’Etat, qui devra être en mesure de contrôler sa politique monétaire, et d’autre part, celui des investisseurs étrangers, compte tenu de la nécessité de pouvoir transférer les fruits de leurs investissements au-delà des frontières de l’Etat hôte.[3] À cet égard, la CNUCED a affirmé que, même si la clause de libre transfert limite la souveraineté monétaire de l’Etat, elle assure en même temps qu’« at the end of the day, a foreign investor will be able to enjoy the financial benefits of a successful investment».[4]
En outre, le tribunal arbitral dans l’affaire Biwater Gauff a considéré que :
« [T]he free transfer principle is aimed at measures that would restrict the possibility to transfer, such as currency control restrictions or other measures taken by the host State which effectively imprison the investors’ funds, typically in the host State of the investment ».[5]
Les restrictions légitimes pouvant être apportées au libre transfert des capitaux
Il existe des TBI dans lesquels la clause de libre transfert est rédigée en termes absolus. Ainsi, toute mesure de l’Etat restreignant cette liberté est constitutive d’une violation du TBI. Tel est le cas de l’article 7(1) du TBI conclu entre la France et le Gouvernement de Hong Kong disposant que :
« Chacune des Parties contractantes garantit en matière d’investissements aux investisseurs de l’autre Partie contractante le droit de transférer sans restriction à l’étranger leurs investissements tels que définis à l’article 1(2) et leurs revenus tels que définis à l’article 1(4) (notamment les bénéfices, intérêts, plus-values, dividendes, redevances et commissions) … ».
Cependant, il est tout à fait normal que les Etats insèrent dans leurs TBI des restrictions à la liberté de transfert. Ces restrictions renvoient à des situations exceptionnelles dans lesquelles les mesures prises par les Etats allant à l’encontre de la liberté de transfert ne sauraient être considérées comme violant les dispositions conventionnelles, pourvu qu’elles soient prises de manière non discriminatoire.
En général, il existe deux types de restrictions :
- Restrictions relatives à la balance des paiements
Ces restrictions touchent la souveraineté monétaire des Etats. En d’autres termes, il existe des situations où la crise financière appelle l’adoption de mesures restreignant, du moins temporairement, les transferts monétaires en dehors du territoire, et ce pour remédier aux problèmes de balance des paiements.
- Restrictions relatives à l’exécution des décisions de justice et à la protection des créanciers
A cet égard, l’on pourrait citer le TBI modèle du Canada qui dispose en son Article 14. 3 que :
« Notwithstanding paragraphs 1 and 2, a Party may prevent a transfer through the equitable, non-discriminatory and good faith application of its laws relating to:
(a) bankruptcy, insolvency or the protection of the rights of creditors;
(b) issuing, trading or dealing in securities;
(c) criminal or penal offences;
(d) reports of transfers of currency or other monetary instruments; or
(e) ensuring the satisfaction of judgments in adjudicatory proceedings ».
Conclusion
Conformément aux principes susvisés, l’on peut conclure que les mesures prises par les Etats qui empêchent les investisseurs de transférer le rendement de leur investissement à l’étranger, et qui ne tombent pas dans les catégories des restrictions légitimes prévues par le TBI, violent les obligations conventionnelles de l’Etat. Par conséquent, une telle violation du TBI ouvre droit pour l’investisseur à indemnisation intégrale de son préjudice.
Toutefois, cette conclusion n’est pas automatique, et il convient de procéder à une analyse in concreto. En effet, plusieurs affaires ont donné l’occasion aux tribunaux arbitraux de mettre en avant certaines législations étatiques qui imposent des exigences particulières aux investisseurs pour transférer les fonds en dehors de leur territoire. Faute pour l’investisseur d’accomplir ces exigences, l’Etat hôte ne saurait être tenu responsable de l’impossibilité pour l’investisseur de transférer le rendement de son investissement à l’étranger.
Tel était le cas dans l’affaire Metalpar c. Argentine où le transfert était subordonné à l’obtention d’autorisations de la Banque Centrale. A cet égard, le tribunal arbitral a conclu que « Claimants, who knew the regulations on this matter well, (…) did not comply with the established procedure, which consisted of requesting authorization from the Central Bank (…) and that Argentina did not breach article 5(b) of the BIT, which guarantees the transfer of funds abroad ».[6]
[1] W. Ben Hamida, « La prise en compte de l’intérêt général et des impératifs de développement dans le droit des investissements », JDI, Octobre 2008, n°4.
[2] Continental Casuality Company c. Argentine, Affaire CIRDI n° ARB/03/9, Sentence du 5 septembre 2008, para. 239.
[3] F. Perez Aznar, A. Turyn, « Part I, Chapter 3 : Drawing the Limits of Free Transfer Provisions », in The Backlash against Investment Arbitration, Kluwer Law International, 2010, p. 52 : « two sets of interests should be balanced when one is trying to approach the degree of substantive protection afforded by these kinds of provisions. On the one hand, analysts or adjudicators should consider the interest of the host state in monitoring and controlling public reserves, and, in doing so, managing internal financial market policies through good faith and non-discriminatory regulation. On the other hand, they should consider that the ability of foreign investors to transfer profits from the host country may well be one of their fundamental purposes when deciding to invest in foreign countries ».
[4] Transfer of Funds, UNCTAD Series on Issues in International Investment Agreements, New York/Geneva, 2000, p. 1.
[5] Biwater Gauff (Tanzania) Ltd c. République Unie de Tanzanie, Affaire CIRDI n° ARB/05/22, Sentence du 24 juillet 2008, para. 735.
[6] Metalpar S.A et Buen Aire S.A. c. Argentine, Affaire CIRDI n° ARB/03/5, Sentence du 06 juin 2008, para. 179.